La révolte des appelés
rideau
manifestation d'appeles pendant la guerre d'algerie

Les électeurs rappelés ne sont pas contents. En janvier, la plupart d'entre eux étaient d'accord pour garder l'Algérie à la France  Mais ils ignoraient qu'on ferait appel à eux pour réaliser ce programme. Alors, ils écoutent l'opposition, et le printemps est effervescent.
Lorsque les disponibles, rappelés à l'honneur de servir, se mettent en route selon les prescriptions de leur fascicule de mobilisation et sur l'injonction du gendarme, ils trouvent des itinéraires préparés. Tracts, affiches, graffiti, banderoles, commandos de militants et agitateurs professionnels leur soufflent des slogans politiques et des cris de colère.
En vérité, les rappelés crient surtout : Vive la quille ! mot incantatoire du vocabulaire militaire chargé de la mélancolie des adieux, de la nostalgie du foyer et de l'espoir du retour. Il y a de la ferveur dans cette prière jaculatoire. La quille arrache une larme à la mère qui regarde partir son fils, un soupir à la jeune épouse seule dans le lit trop grand...
On crie la quille et l'on enchaîne en vouant aux gémonies, au poteau d'exécution et aux tinettes, les ministres et les généraux. Puis on exécute les ordres du gendarme sans chercher à comprendre.

L'armée, se met en marche. Il lui faut incorporer, équiper, ordonner, pour le bien du service et l'honneur des armes, 150000 ou 200000 hommes. Le bât est lourd. Evidemment, il ne manque pas un bouton au paquetage que l'intendance sort de la naphtaline. Tout au plus s'aperçoit-on, au dernier moment, que le pantalon de toile coupé à la taille d'un partisan viet­namien est trop étroit pour un ventre de réserviste. On déplace les boutons, on découd le revers, on se débrouille... On se débrouillerait mieux si on avait suffisamment de cadres.
Ici, le bât blesse. L'armée manque d'officiers et de sous-officiers pour encadrer les rappelés. Les cadres de l'infanterie, qui ont payé la plus lourde part des pertes en Indochine, sont usés. Les sept promotions de saint-cyriens disparues en Extrême-Orient manquent à l'appel. Et les forces vives sont déjà engagées en Afrique du Nord.
Le contingent des disponibles a été découpé en tranches de 1 000, du tout-venant. On fabrique des bataillons de marche avec des transmetteurs, des tringlots, des fusiliers de l'air, des cavaliers, des artilleurs, etc.
Pour les encadrer, on racle les fonds de tiroir et les fichiers du personnel. C'est le grand coup de balai dans les planques poussiéreuses, on réactive des lieutenants d'administration, on réanime des capitaines d'habillement de cinquante ans, des commandants au seuil de la retraite, des invalides d'oflag, pour commander, organiser, entraîner des hommes mécontents, des électeurs excités qui gueulent leur colère.
Alors, les incidents se multiplient, diffusés complaisamment par la presse qui les encourage. A Eymoutiers, la municipalité (communiste) s'oppose au passage des convois militaires. A Mourmelon, 2000 réservistes, entassés dans le camp, sans ordre et sans cadres, manifestent violemment. A Dreux, un bataillon de marche du train des équipages — le 584e — met à sac la gare avant de partir pour Marseille...

Malgré l'intox donc, on frissonna quelques jours durant de l'espoir qu'un vaste soulèvement, qu'un gigantesque refus d'obtempérer, qu'une révolte générale allait exploser dans toutes les provinces. Le 18 mai, à Grenoble, pendant six heures, des centaines de manifestants réussirent à bloquer la gare pour faire obstacle au départ des rappelés : aiguillages pris d'assaut, grue renversée sur les rails, bagarre avec les CRS... C'est de Lyon et de Chambéry qu'on dut faire venir des renforts pour rétablir la situation dans la nuit. Puis, la semaine suivante, comme une traînée de poudre, la résistance des rappelés gagne tous les départements. C'était pour nous merveille d'apprendre que partout des trains s'arrêtaient, qu'on devait désormais les priver de leurs signaux d'alarme, mais que les rebelles, nos camarades, utilisaient les freins de secours et réclamaient "la quille "et "la paix en Algérie ". Nous, dont ce serait bientôt le tour de partir, nous nous sentions d'un seul coup plus forts dans notre lutte contre la sale guerre. C'était sans doute pour les gens respectables, "une pénible affaire "; pour nous, ce fut la plus grande joie de ce printemps sans fleurs.

L'Humanité était un des rares journaux à donner quelques détails sur ces manifestations, sans que le ton du journal communiste nous plût toujours. Ainsi, le 3l mai, il publia un article larmoyant de Jean-Pierre Chabrol, qui s'était entretenu avec un carrossier
de Champigny, père d'un militaire tué récemment à Palestro. Il faut en finir, lisait-on, qu'ils reviennent vite les pauvres gosses ! Appuyer sur cette corde sensible nous était odieux. Nous ne refusions pas de risquer notre peau, et quelle misère si nous n'ambitionnions à vingt ans que nos pantoufles ! Nous ne voulions pas de cette pitié-là. Ce n'est pas l'instinct de conservation qui nous dominait, c'est le principe même de cette guerre imbécile que nous récusions. Nous n'arrivions décidément pas à comprendre pourquoi, nous Français, propagateurs à travers le monde de l'idée de nation ! nous aurions dû révoquer sans appel le principe de la nation algérienne.
  Hélas ! au début juin, les manifestations des rappelés cessèrent. La machine militaire avait absorbé les derniers révoltés que la gauche en place, en poste et en force, n'avait que timidement soutenus. Du moins espérions-nous que les députés communistes allaient signifier sans équivoque leur hostilité, et la nôtre en même temps à la guerre d'Algérie. Bernique ! La ligne du Parti, malgré Lacoste, malgré Mollet, malgré la guerre, c'était le front uni avec les socialistes et même si les socialos n'en voulaient pas, on serait unitaire pour deux et voilà tout ! Alors dans ce débat grandiose, où l'on avait vu le chef du gouvernement socialiste applaudi par l'extrême droite ! Les communistes, au lieu de clamer ce " non " que nous attendions d'eux, se réfugièrent dans une molle abstention.

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